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Albane Gellé : à la recherche du silence

  • Photo du rédacteur: Juliette Arnaudet
    Juliette Arnaudet
  • 15 oct. 2023
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 18 oct. 2023





Albane Gellé est une des voix poétiques qui m’a frappé en ce début d’automne.

Son histoire est bouleversante : un début de vie marqué par un deuil avant même sa naissance, avec un père qui lui donne en héritage quelques poèmes, avant de décéder dans un accident de voiture.

Plus tard, Albane entre dans un cercle vertueux et une urgence : d’abord professeure animant des ateliers d’écriture, elle change de chemin et devient équithérapeute près de Nantes, où elle y vit toujours. Elle mélange thérapie par le contact animal et thérapie par la poésie.


Le recueil que j’ai lu, Equilibriste de passage (Ed. Le Castor Astral), passe par différents cycles de la vie et de l’épanouissement de cette poétesse : on commence par le deuil du père, à la fois absent et présent par sa sensibilité poétique, qui a inspiré son enfance. On passe ensuite par une recherche du silence parmi la suractivité du monde, mais aussi par une observation des autres. On arrive enfin à ce qu’elle est devenue et ce qu’elle devient : une femme artiste vivant en pleine campagne, au rythme des animaux, des êtres en quête de sens et du vent.

Albane parle donc des saisons, du temps qui « roule » et de la solitude, mais aussi de la difficulté d’écrire. Ecrire s’apparente à un fil qui se déroule tout au long de la vie d’Albane, c’est un fil qui la maintient mais qui lui fait faire face à ses obscurités. Est-ce que le vrai silence existe ? Qu’est-ce qu’il dit ? Conte-t-il de la tristesse ou des souvenirs ? Et comment vivre avec le bruit du monde, parfois, souvent, lorsqu’on est une femme, mais aussi lorsqu’on se sent en décalage avec les autres ? Elle met en avant une écriture fragmentée du corps, de la mort (émotionnelle, symbolique et physique) et de l’intime à la fois contemporaine et ancienne.

Du « tu » au « je », elle alterne entre « ça » ou « elle », jouant entre l’entrée dans les émotions personnelles et la portée universelle de ses histoires. Pourtant, qu’importe le jeu de la langue, on comprend le chemin par lequel elle s’engage, parce qu’on se rend compte que l’on passe nous-même par ce chemin. La quasi absence de ponctuation nous plonge dans ce flot de pensées brut, comme un album photos marquant des expériences de vie.

Albane parle aussi de cartographie et de marche, de son amour profond pour la préservation de la nature et de l’animal à l’égal des hommes. La nature est son ancrage, c’est le lieu où elle se sent en paix avec son propre silence et celui des autres, c’est le lieu où elle se sent la plus utile à celleux qui l’entourent. La poétesse engage à une reconnexion, non seulement à la terre mais aussi aux souvenirs d’enfance, à l’instant présent et à la présence des proches.


Elle touche au coeur de blessures et d’envie de respiration, elle se transforme un peu en sorcière en parlant des éléments et de la lune.


La poésie d’Albane Gellé est unique, hantée et réconfortante.




Quelques extraits :


« le silence n’existe pas il y a toujours dans la tête une

langue qui chante qui se plaint ou qui parle à quelqu’un

on se tait quand on est morte n’est-ce pas alors

dites-moi comment faire pour se taire et rester vivante

se taire parce qu’il y a là quelque chose qui apaise

vivante pour le désordre »


« il faisait chaud sous la peau de ma mère et d’ici

sous le ciel je continue d’entendre les bruits

vivants du monde c’est le même mouvement qui

tourne et moi je vais posée croquant des pommes

avec mille voix dans les oreilles que personne

n’entend. »


« A l’aveuglette je mène

des enquêtes au sujet des tendresses

brisées, pas démêlée

la rivière se retourne

je ne tombe pas de la falaise

mes amis volent et m’envoient

des messages, chimiques, géologiques,

ils font passer les nuages par les cheminées

la vie est étonnée, comme une jeune neige

la mort bifurque, je garde dans la gorge

quelques flocons »


« après un certain nombre de mots un trop-plein de

conversations il faut que je parte me courir après histoire

de voir si je suis toujours là »


« j’ai rencontré quelqu’un c’est drôle on dit ça comme si on

ne le rencontrait plus ensuite »


« Je me tais parce que quand j’étais petite un homme à côté

de moi parlait parlait il me donnait envie de vomir je me

tais parce que tout près ça parle bien je ne vois pas ce que

je pourrais ajouter je me tais parce que quelqu’un parle fort il

n’y a plus de place je me tais par habitude je me tais parce

que je suis fatiguée je me tais par provocation je me tais

comme ça pour rien je me tais pour ne courir aucun risque

je me tais parce que je ne sais pas par quel bout commencer

je me tais et alors — je ne me tais pas. »


« nous creusons dans nos villes

et dans la peau de l’autre

chemisettes pulls de laine

quelques dizaines d’années

écorces dans les cheveux

peuples forêts »


« Gardien des fleurs d’hiver nous pardonnons à la douleur

de ne pas nous délivrer, aimant le vent comme

nos désirs

allant sans parapluie, démasqués sous les pluies,

pendant que toi petit navire tu passes par les vagues,

autant de titres à nos chapitres, nous chantons

le grain des peaux, le flux des eaux, nous veillons

à rallumer les braises. »


« au coeur le vaste

pressenti

plus loin que Terre

corps avec jambes tête coeur et mains

ou corps planète années lumière — aller-retour

nous fermons les yeux

et nous dansons dans un vertige

autour d’étoiles (inexpliquées)

est-ce qu’immobile reste possible »


« Plus âgés que nos âges tous debout depuis la terre

nous sommes restés longtemps au chaud dans

nos paniques récitant des chagrins ici et là appris

par coeur sous une grande pluie d’hiver avant de

nous mettre à chercher le soleil et ses fraîcheurs et ses jardins : demain même si la lumière

demeure difficile nous croirons enfin aux anges »



A bientôt !


Juliette

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