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« Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000-2020 », Vanessa Bell et Catherine C-L

  • Photo du rédacteur: Juliette Arnaudet
    Juliette Arnaudet
  • 29 avr. 2023
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 avr. 2023



Cette anthologie est une des anthologies contemporaines les plus importantes de ces dernières années pour le Québec, à mon sens. Elle rassemble en effet les voix de 55 poétesses québécoises, à la diversité des parcours et des singularités assez époustouflante.


Au début de ce recueil est présentée une introduction passionnante de l’histoire de la poésie québécoise, plus particulièrement du point de vue des femmes : le lieu de création du mouvement poétique au Québec dans les années 1990, la particularité de la poésie québécoise, qui est une poésie francophone en lien étroit avec la culture et la langue anglophone, et l’évolution des différents mouvements poétiques jusque dans les années 2020.


Les poétesses présentées écrivent sur une multitude de sujets : le rapport au corps, qu’il soit par rapport à soi-même ou par rapport à l’autre, l’animalité, le désir, l’appartenance à une communauté queer, l’étrangeté, la nature, l’étranger ou l’Altérité, la préservation de la mémoire autochtone…

Elles sont metteuses en scène, comédiennes, universitaires, animatrices d’ateliers d’écriture, performeuses, philosophes, anthropologues, sociologues, chanteuses, directrices de maisons d’édition indépendantes, militantes…

A chaque page est établie une présentation complète du parcours de chaque poétesse, de ses spécificités, de sa spécialisation en termes de poétique, et de son engagement dans la société afin de permettre la diffusion (immense au vu du nombre de poétesses rassemblées dans ce recueil!) de la poésie. A la suite, deux à trois pages d’extraits de chaque travail poétique, tous aussi puissants qu’émouvants. Rendez-vous compte, un recueil entièrement consacré à des voix féminines!


Ce livre est une véritable pépite, une source à la fois littéraire et historique dans le cadre de la représentation des femmes et de leurs créations littéraires au Québec.

Je laisse la voix à quelques poétesses qui m’ont particulièrement marquées dans ce recueil.



Virginie Beauregard: poétesse, musicienne, artiste visuelle. Elle « met en action la ville, sa multiethnicité et sa marginalité dans un regard politique brillant et frontal ». Réflexion sur les limites du langage, perspective punk (Anthologie, p. 36).


les gens

sont des animaux

bagués

ou des forêts d’un seul arbre

je ne sais pas


_____



je vois les oiseaux de mi-parcours

décrire le ciel

en s’allumant de la terre


je ris comme je pleure

mais ce n’est pas laid

ce n’est que le principe

du jour et de la nuit



Denise Desautels : 45 ans d’écriture. Mélange de journal, essai, récit et poésie narrative, recherche autobiographique. Cycle de mort et de filiation, sentiment de l’inguérissable. Membre de l’Académie des Lettres du Québec et de l’Ordre du Canada (Anthologie, p. 72).


(…)


J’envisage chaque jour prochain en nuit.

Chancelante résiste. Mon poing sur des sons drus d’encre. Mon poing retient alarme et plaie respire planète et nostalgie future. Me voici plurielle. Nous. En force qui soulève ce qui s’effondre. Qu’on arrache. Qui revient s’afficher aux murs d’angles de passage des villes - espoir aux phrases mobiles.


(…)


Roxane Nadeau : fait partie du comité de rédaction Moebius. Écrits « remplis de tensions, de justes colères, où du désir de mort naît la vie » (Anthologie, p. 76).


je braquerai mes os

torse relevé

ton pouce et ton index glissés entre mes mâchoires

déclencheront une dissection ivre

autour les amis répandront leur quiétude

l’attention penchée hors de nous


tu tireras mon cou comme une ancre

l’appétit enrayé

j’ai dans ce rêve la peau étroite

le corps terriblement dense



_____



gauche

je m’affaisserai

de mes clavicules jusqu’à tes aiguilles


épaules nues au début du lit

au défaut de tendre

j’irai par-dessus mon péril

que ta foi verse



Toino Dumas : oeuvre intime et universelle, expérience communautaire. Transhumance, écologie, herboristerie, magie, métamorphoses, lumière, recommencements. Multiples noms de plumes, multiples identités (Anthologie, p. 92).


Sur la lumière des histoires écrites sans verbes, mais la lumière n’est qu’un fatras de verbes / on grandit, vasques de sang, à répandre légendes et coloriages sur ce qui bruit dans les fossés et les maquis / on désapprend la lumière, on apprend à parler / toute parole est une insulte, tout mot une voûte abritant la peur, chaque lettre un clou dans la grande que j’habite / et je hante ma naissance comme le langage hante mon corps et la lumière me hante aussi



Natasha Kanapé-Fontaine : autrice, actrice, artiste multidisciplinaire, militante pour les droits autochtones et environnementaux. Un cycle d’écriture marqué par une lignée matriarcale : la grand-mère, la mère, la fille. Territoire intime. Corps-nation (Anthologie, p. 128).


Tu goûteras ma joie

fruit de l’amertume

jus sucré de la révolte

Je me souviendrai


Tu reculeras mes corps mes frontières

tu brûleras les troncs de pin de bouleau

je sangloterai une ritournelle

vieille litanie territoire

le père de mon père


(…)


Nous nous soulèverons

des foulards à nos visages

du rouge à nos lèvres

symboles anciens à nos dos

je redresserai les portes de l’avenir

jetterai les battants des réserves

ouvrirai mon village au monde


Nous nous soulèverons

nous brûlerons les écoles

nos enfants devenus aïeux

nos aïeux devenus enfants


Je concocterai entre mes cuisses

la formule de moralité

rédemption

notre île


Nous apprendrons le nom de la terre.



Roxane Nadeau : une poésie de la marche, une quête d’espaces pour vivre entièrement. Nature enchanteresse, illusions lovecraftiennnes. Cofondatrice du groupe LGBTQIA+ La Réclame (UQAM). Mémoire en création littéraire sur la « façon dont l’urbanocentrisme limite les représentations de femmes trans dans la culture populaire au Québec » (Anthologie, p. 172).


chaque soir, l’hiver

mes filles reviennent du presbytère

leurs pas défonçant la glace coupante :

un pour chaque tort que j’ai commis

bride à leur cou elles tirent les chevaux

aux os noirs, leurs mouvements appliqués


une justesse cléricale


fermière de la mort, j’ai épuisé ma redevance

les sillons, sont plein de baies pour oiseaux

qui, perchés, jugeront ma ville d’orgueilleuse :

le bricolage de mes belles

elles dresseront pierre sur pierre la cathédrale,

tisseront les rameaux en ponts inflammables


elles s’égratignent les avant-bras

des coordonnées de leur échappatoire

Il leur faut un endroit où je peux vivre.



Chantal Neveu : écrivaine, performeuse, artiste interdisciplinaire. Le corps au centre de son oeuvre. Ce dernier « a sa propre volonté : il s’engage, change d’état, devient liquide, démembré, courbé, pluriel » (Anthologie, p. 176).


(…)


Je lance un filet de son. J’espère. Ma tête se détache de mes épaules. Il y a de l’espace entre mes membres, un nouvel espace autour de moi.



(…)


Ma tête se déplace au-dessus de mes épaules, je pianote dans la poussière de l’air, le piano m’emporte dans le courant transparent. Plus loin du mur, les pans de lumière, des parallélogrammes.


(…)


Tous les jours depuis trois mois, j’entends, plus ou moins rapprochées, des détonations, j’anticipe des silences plus longs, je désire ce que je ne sais pas, ce que je ne vois pas, je ne sais de quoi cela est composé, cela qui me lève, les cuisses, les coudes.



Stéphanie Roussel : « iel parle à l’enfant, à l’adolescent.e, à toutes les situations qui se sont creusées une place et qui font partie de qui nous sommes. Les nommer, c’est permettre d’atteindre une certaine paix ». Recherches sur la littérature hors du livre, les arts queer, les pratiques poétiques marginales » (Anthologie, p. 212).


nous ignorons le nom des parcs

bleu jaune et rouge j’adore le parc mauve

où personne d’autre ne va

au parc lanaudière les jeunes filles

racontent vénus autour des balançoires

bar mythique

où elles dansent

elles terminent toutes leurs histoires par


je me suis fait un chum

il aura vingt-sept ans demain il m’accueillera

à la sortie de l’école je prie

pour ne pas être enceinte

aucune d’entre nous n’aurait su

épeler le mot viol

je tiens seulement

leurs mains quand elles pleurent.




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