Christian Bobin, âme du murmure et de la lumière
- Juliette Arnaudet
- 26 déc. 2022
- 4 min de lecture
Ma rencontre avec Christian Bobin s’est faite sur le tard, mais ça a été un déferlement de lumière dans ma perception de la vie et du monde, visible et invisible.
Son départ m’a beaucoup affecté.
J'ai envie de lui rendre hommage dans cette note de lecture.
J’ai découvert Bobin à travers la recommandation de son recueil La Nuit du Coeur, qui parle de son cheminement spirituel lors de sa visite de la ville de Conques, dans la région de l’Aveyron. Je ne savais pas encore que, quelques mois plus tard, je serais moi aussi en train de me promener dans cette ville si particulière, avec ses pèlerins de Compostelle et ses artisans cachés au milieu des montagnes.
J’ai d’abord fait ma propre expérience de Conques et j’ai été frappée par la grande énergie que j’ai ressenti dans ce lieu. J’ai rencontré des artisans qui m’ont parlé naturellement de leur parcours de vie atypiques qu’ils avaient effectué avant de se retrouver envoûtés par la ville de Conques. Puis j’ai lu le recueil de Bobin et c’est devenu un écho très familier dans lequel je retrouvais complètement mon expérience personnelle. J’ai compris à ce moment-là que Bobin parlait un langage poétique pur, un langage de la vie que je n’avais pas réussi à complètement saisir jusqu’à présent.
J’ai compris que je devais tendre vers ce cheminement poétique, cette tentative de cristalliser un saisissement du coeur et de l’âme humaine. C’est probablement aussi durant cette période de quelques mois (on ne saisit pas forcément ses propres transformations) que j’ai commencé à écrire de plus en plus sur la marche, la contemplation, le voyage et les différentes expériences que cela me procurait.
Avec Le Plâtrier Siffleur, alors que je peinais à me remettre de la nouvelle de sa disparition, j’ai ressenti à nouveau cette familiarité et ce réconfort que procure Bobin dans ses écrits et ses observations. Ce petit livre, si frêle en apparence, renferme toute la sagesse du monde. C’est comme si la voix de Bobin me murmurait encore de ne pas me laisser aller à une sensation de délitement du monde.
« Contempler est une manière de prendre soin ». Pour Bobin, les hommes ne font que regarder le monde sans sentir précisément la matière essentielle de ce qui le compose. Or sentir, ou plutôt (re)ssentir, est un pas qui déchire le brouillard de la routine vers une nouvelle intensité lumineuse. Le poète invite à la préservation du monde et de la poésie par l’action de s’incarner une nouvelle fois en soi-même, pour mieux voir ce que la vie a à offrir aux hommes.
Manifeste écologique, Le Plâtrier siffleur n’enjolive pas la réalité : Bobin parle d'un monde perdu depuis plusieurs décennies déjà, d'une perte de repères. L'essentiel n'est plus l'attente et la paix du silence, il s'est modifié en une suractivité permanente qui a fait oublié aux hommes l'émerveillement et la curiosité de l'enfance. Le poète insiste sur cette perte d'harmonie entre un monde naturel plus grand que l'être humain et l'incapacité de celui-ci à revenir à cette connexion presque primitive, avec non seulement ce monde naturel, mais aussi avec son intériorité.
Bobin rappelle que les éveillés à ce processus de reconnexion ne tendent pas à être oubliés : « Il n’y a que les poètes qui prennent le monde au sérieux, ceux qui ont réputation d’être distraits, étourdis, de ne pas mesurer les choses, de ne pas en connaître la pesanteur. Ce sont eux, eux seuls, qui connaissent la pesanteur, le drame des choses et aussi ce qu’elles contiennent de lumière ». Bobin remet dans la lumière les êtres de notre réalité qui mêlent naturellement la vie à la poésie, ou la poésie à la vie et qui semblent avoir un pouvoir de transmission important entre leurs semblables, les éléments et le regard qu'ils portent sur leur quotidien. Pour Bobin, ce sont ces mêmes sensibles, encore connectés au monde du rêve, qui sont capables de sauver le monde. Et finalement, ce sont ces êtres parfois considérés comme étranges, hors de leur époque, qui sont les plus à mêmes de répondre aux problématiques de celle-ci.
En réintégrant, par sa poésie en prose, la lumière, ajouté à un amour profond pour la beauté de la vie, Bobin instille un rayon d’espoir au cours de son essai poétique. Il est possible de redevenir humain, et même de redevenir poète ou poétesse, en faisant preuve d’un nouveau travail intérieur pour transformer sa perception extérieure, au monde et aux autres. Prendre le temps d’assimiler l’extrême fragilité de la vie et ainsi, s’engager à la préserver par cette simple conversion du regard en une traversée poétique.
Comme Bobin le dit si bien : « Habiter poétiquement le monde ou habiter humainement le monde, au fond, c’est la même chose ». C'est peut-être une des dernières consolations que peut nous procurer le poète : rester humain dans cette tempête à la fois douce et chaotique qu'est la vie, ralentir, noter le mouvement du vent ou des nuages, s'imprégner du soleil et d'un quotidien lent, quand cela devient nécessaire. Réintégrer le murmure des arbres, réintégrer le goût d'une vie proche des siens et de ce qui nous rend heureux, en harmonie poétique avec ce qui nous entoure. S'engager pour un ralentissement de ce quotidien et garder, par-dessus les contraintes, l'empreinte de la lumière.
Quelques sources complémentaires :
Christian Bobin parlant de son nouveau livre Le Muguet Rouge, dans Le Grand Atelier sur France Inter :
Christian Bobin dans l'émission La Grande Librairie :
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