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Françoise Chandernagor, « Une anthologie de la poésie féminine »

  • Photo du rédacteur: Juliette Arnaudet
    Juliette Arnaudet
  • 5 janv. 2023
  • 4 min de lecture


Cette superbe anthologie rassemble les écrits provenant exclusivement de femmes poétesses. L’introduction que nous livre Françoise Chandernagor est édifiante : les poèmes écrits par des femmes dans les anthologies actuellement existantes ne représentent que 2 à 5% de l’ensemble des poèmes publiés dans ces anthologies.


Partant de ce constat, l’autrice de ce livre se donne pour mission de remettre à l’honneur ces femmes qui étaient très actives durant leur époque pour leurs multiples et talentueux écrits. Tous ces extraits abordent l’angle de l’amour, joyeux, macabre, érotique ou éconduit. Si nous pourrions penser, à première vue, que cette thématique de l’amour pour mettre en avant les écrits des poétesses de ces derniers siècles semble réductrice, ce n’est pas le cas : au contraire, Françoise Chandernagor prend le parti que le fait de parler d’amour, en particulier durant l’Antiquité et le Moyen-Âge, est un très bon moyen pour les femmes de s’imposer dans cette société masculine.


C’est ainsi que l’anthologie nous emmène des écrits de Sappho à ceux d’Andrée Chedid et de Renée Vivien, ou encore de Vénus Khoury-Gatha, en passant par des autrices anonymes et oubliées de l’Histoire, sous le filtre de différents amours. Nous remarquons que la plupart de ces écrits, à part ceux qui vantent les qualités d’un amant, sont très mélancoliques, voire obscurs. Ce style gris qui imprègne l’ensemble de ces poèmes suit certains mouvements littéraires spécifiques, mais par-dessus tout, exprime les émotions les plus intimes de ces femmes. L’expression de cette intimité leur permet de déployer leur existence souvent remise au second plan et bien que pour beaucoup d’entre elles, nous ayons perdu leurs écrits, cette anthologie les replace dans la lumière.


L’expression du « Je » poétique, est dans ce recueil, d’autant plus essentielle au développement d’une intériorité : pour les plus classiques, les quatre éléments sont souvent mis en avant (la brûlure de l’amour passe dans tout le corps, désagrège l’esprit) et pour les plus contemporaines, il est question de la mémoire, du temps qui passe et de l’absence (vide et existence de la mémoire à l’intérieur et à l’extérieur de la poétesse, les vivants et les fantômes se mêlent).


Au bout de ces écrits, de nombreux récits de pertes, d’amours déçus mais aussi de morts brutales, pour l’amant.e comme pour l’écrivaine elle-même. A chaque nom de poétesse, Françoise Chandernagor rétablit un certain équilibre en établissant une biographie à la fois objective et personnelle de celle-ci, ajoutant des anecdotes passionnantes qui permettent de faire perdurer les visions d’un tempérament et d’une enveloppe de chair sur quelques mots.


J’ai été happée par cette anthologie tout à fait exceptionnelle et j’ai été ravie de redécouvrir et de découvrir tous ces noms de poétesses, pour certaines tombées complètement dans l’oubli.



Quelques uns de mes passages préférés :



« Et je ne reverrai jamais ma douce Attys.

Mourir est moins cruel que ce sort odieux ;

Et je la vis pleurer au moment des adieux.

Elle disait : « Je pars. Partir est chose dure. »

Je lui dis : « Sois heureuse, et va, car rien ne dure.

Mais souviens-toi toujours combien je t'ai aimée.

Nous tenant par la main, dans la nuit parfumée,

Nous allions à la source où nous rôdions par les landes.

J'ai tressé pour ton cou d'entêtantes guirlandes ;

La verveine, la rose et la fraîche hyacinthe (...) » »

-- Vers de la maturité, Sappho



« Source de pleur, rivière de tristesse,

Flux de douleur, mer d'amertume pleine,

M'environnent, et noient en grande peine

Mon pauvre coeur qui trop sent sa détresse.


Ainsi m'entraînent et plongent dans l'onde amère,

Car, dans mon âme, coulent plus fort que Seine

Source . pleur, rivière de tristesse (...) »

-- Source de pleur, Christine de Pisan



« Point n'est besoin que plus je me soucie

Si le jour meurt, ou que vienne la nuit,

Nuit hivernale et sans lune obscurcie :

Car, de cela, rien certes ne me nuit

Puisque mon Jour par clarté adoucie

M'éclaire toute, si bien qu'à la minuit

En mon esprit me fait apercevoir

Ce que mes yeux ne surent jamais voir. »

-- Rimes, Pernette du Guillet



« J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;

Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes

Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.


Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées

Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées,

Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;


La vague en a paru rouge et comme enflammée.

Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée...

Respires-en sur moi l'odorant souvenir. »

-- Les roses de Saadi, Marceline Desbordes-Valmore



« Le bonheur est un oiseau

Plus léger que l'oiseau-mouche ;

Et sous lui, comme un roseau,

Notre âme plie et se couche.

Chut ! Ne faisons pas de bruit :

Dans le secret de la nuit,

D'un regard ou d'un sourire

Soyons heureux sans le dire,

L'oiseau vient, passe et nous fuit. »

-- Sotto voce, Louisa Sieffert


« (...) Ô grand désir, ô surprise épandue

Ô beau parcours de l'esprit enchanté

Ô pire mal, ô grâce descendue

Ô porte ouverte où nul n'avait passé


Je ne sais pas pourquoi je meurs et noie

Avant d'entrer à l'éternel séjour.

Je ne sais pas de qui je suis la proie.

Je ne sais pas de qui je suis l'amour. »

-- Nyx (dédié à Louise Labé), Catherine Pozzi

« Lève-toi et marche. Prends le soleil et la lune avec toi.

Dans le récit où je t'entraîne, il fera chaud et il fera froid.

Je te ressuscite en dehors de ma mémoire et du vide.

Je te forme de mes rêves, de la matière des autres,

de mes pensées errantes entre ciel et terre.

Lève-toi et marche (...). »

-- Anise Koltz


A bientôt !



Juliette



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