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"Bergman Island", Fantômes, Amour(s) et Cinéma, Mia Hansen-Løve (2021)

  • Photo du rédacteur: Juliette Arnaudet
    Juliette Arnaudet
  • 15 juil. 2021
  • 4 min de lecture

"Bergman Island" est un film suédo-germano-belgo-français réalisé par Mia Hansen-Løve.

Il est en compétition officielle pour le Festival de Cannes 2021.

Le décor est planté sur l'île suédoise de Farö, où le célèbre réalisateur, metteur en scène et écrivain suédois Ingmar Bergman a créé de nombreux films noirs.

Un couple de cinéaste suit ses pas et s'installe en résidence sur l'île durant l'été, afin d'écrire de nouveaux scénarios.

Le film propose une réflexion à propos du processus créatif cinématographique (et aussi à propos du processus créatif en général), opérant un savant mélange entre la fiction et la réalité. D'autres réflexions sont introduites, comme la question de l'équilibre et de l'amour entre deux personnes.

L'île de Farö déroule ainsi une histoire à la fois dramatique, comique et fantastique, sous l'esprit de Bergman et de sa vision sourde, angoissante.



"Bergman Island" est tout d’abord l'histoire d'un couple, l'histoire d'un amour épanoui mais constamment sur un fil. L’union des deux cinéastes se disloque dans la première partie du film. Chacun s'isole afin de trouver le calme nécessaire à leur écriture respective de scénario. La femme, dans un moulin où règne le silence. L’homme, dans la maison, à un bureau. Chacun à leur fenêtre, un œil sur la campagne suédoise et sur l'autre. Très rapidement, le compagnon se met à créer, écrire, écrire, dessiner, imprimer des débuts de dialogue, tandis que sa compagne hésite, piétine, tente de s'approprier l'espace autour d'elle. Elle n'arrive pas à se donner l'esprit pour écrire et a l'impression que son compagnon, déjà enfermé dans sa propre imagination, n'écoute pas assez ses difficultés. Comment écouter l’autre, lorsque nous avons un même métier créatif ? A quel point la solitude doit-elle avoir une place dans la relation ? A quel point faut-il révéler ses projets en cours, ses réflexions ?

Les espaces se distendent, permettant à la cinéaste de développer son monde intérieur. Elle ne l'accompagne pas à une visite guidée touristique, préférant le calme et la visite d'un habitant de l'île qui l'emmène sur les plages et dans les forêts de Farö. L'amour perdure malgré tout, en demi-teinte.



"Bergman Island" met aussi en lumière la création artistique elle-même et l'amour pour le cinéma. Lorsque la cinéaste s’ouvre et commence à parler de ses idées à son compagnon, un glissement fluide s'opère vers la fiction: à mesure que la parole créatrice se déroule, la fiction se mêle à la réalité comme dans un rêve doux-amer. "The White Dress". Une histoire d'amour s'y reproduit entre deux personnages, mais cette histoire est morte d'avance. Serait-ce un miroir inversé qui aurait pu refléter une autre réalité, la réinvention cathartique d’une autre vie, d’une possible rupture entre les deux créateurs? Couleurs pastelles, bougies le long d'un mur en pierre, une atmosphère presque celtique s'en dégage et la colorimétrie bleue aide à l'installation d'une ambiance fantastique. La robe blanche incarne la mariée que le personnage féminin voudrait devenir mais qu'elle ne sera jamais. Cette mise en abîme révèle d’une manière subtile comment la création d’une histoire s’inspire de la réalité : les lieux déjà observés réapparaissent, tout comme les personnes rencontrées, troublant les frontières. La cinéaste semble prendre la place de son propre personnage, arborant les mêmes habits et évoluant dans le même espace dans lequel elle vient de la laisser, en proie au déchirement. Nous nous retrouvons d’un lieu à l’autre, dans la « Writing House » de Bergman face à la mer et dans une ellipse temporelle soudaine : nous sommes à la fin du tournage de son film, et elle dit au revoir à ses amis en partance. Ou bien dit-elle au revoir à ses personnages, puisqu'ils leur ressemblent comme des jumeaux?



Enfin, "Bergman Island" remet à l’honneur l'esprit de Bergman, le plus grand réalisateur, metteur en scène et écrivain suédois du XXème siècle. Tout au long du séjour sur l'île de Farö, certaines tensions liées à la cinématographie de Bergman peuvent faire penser que l'histoire de ce couple va mal se terminer: ces moments de rupture s’intègrent, par exemple, lorsqu’un extrait du film Cris et chuchotements est passé pour les cinéastes. Un plan de femme au visage blafard, qui hurle. Le plan d’un film du compagnon cinéaste, qui fait écho à ce même visage : une jeune femme courant devant une voiture, telle une apparition fantomatique. Ou bien lorsque la cinéaste fait remarquer qu’ils vont dormir dans le même lit où a été tourné un film du réalisateur suédois, qui a fait divorcer de nombreux couples. Une angoisse est présente dans ce film, face à cette solitude, ces disputes, ces histoires d'amour perdues dans le vent, apportant même une atmosphère shakespearienne. L’esprit du spectateur se retrouve projeté dans plusieurs mondes qu’il croit percevoir, qu’il croit venir arriver mais qui restent insaisissables. Les fantômes de Bergman et de ses personnages habitent bien les lieux en filigrane et ce sont ces mêmes fantômes qui perturbent l’ordre du monde, la réalité et la fiction.



J’ai apprécié ce film pour toutes ces thématiques abordées, le jeu des couleurs et le jeu des acteurs (cœur sur les actrices Mia Wasikowska et Vicky Krieps!), mais aussi la part belle aux magnifiques paysages de Suède, qui donnent envie de découvrir ce pays et sa culture.


La bande-annonce du film:



Pour en savoir plus: le site de la Fondation Bergman

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