Un road-trip en Ecosse ~ (Octobre 2019)
- Juliette Arnaudet
- 1 déc. 2019
- 6 min de lecture
26.10.19, Glasgow (aéroport, centre-ville) :
Je viens d’atterrir. Je cours déjà pour prendre le bus (tiens, il est de nouveau à deux étages). Je suis seule et l’air froid me prend tout de suite les mains, rougit ma peau. J’entends une langue dont les sonorités m’avaient manquées. Je la comprends et en même temps elle glisse toujours, accents graves et conversations musicales. Elle est plus franche que l’accent anglais.
J’ai cette sensation au creux de la poitrine et je me laisse partir à l’aventure. Et puis je la revois cette amie qui voyage à travers le monde. On parle beaucoup, on rit. En deux heures, c’est comme si j’étais là depuis des mois. Il y a tant de détails que je retrouve.
L’automne s’est installé, les lumières tamisées se fondent avec l’architecture de Glasgow, mélange étrange d’élégants bâtiments anciens et de boutiques modernes. Je suis déjà dans un autre monde, un monde parallèle à celui dans lequel j’ai vécu à Londres, similaire mais dégageant une énergie différente.
27.10.19, Edinburgh (centre-ville) :
Le soleil fait honneur aux feuilles rouges. Il est temps de prendre le bus, traverser la campagne verte et éclatante, parsemées de collines imposantes et de lacs cachés. J’arrive bientôt dans la ville d’Edimbourg. Je ne sais plus où regarder : la diversité des passants, la diversité de cet univers. Les églises avec leurs pointes en équilibre et leur couleur froide, les avenues commerçantes qui montent, montent, puis redescendent jusqu’à la mer. Les coquelicots en mémoire aux morts des guerres. Nous nous promenons dans un petit marché d’artisans. Un artiste qui crée de magnifiques aquarelles avec différents points de vue d’Edimbourg attire notre attention. Nous engageons une conversation de dix minutes, peut-être plus, sur l’art, les différences entre Edimbourg et Glasgow, les voyages… Tout s’efface et je finis par me perdre dans les petites ruelles de part et d’autre des pavés gris.
En un instant, je suis en haut de la colline. Près du château, je peux voir l’infini de la mer. Je suis tombée amoureuse. Tout semble éternel, une douce musique folk résonne et je me surprends à fermer les yeux pour mieux entendre les bruissements du vent dans ce dédale. Je me souviens de ce petit restaurant chaleureux, près du célèbre cimetière dont s’est inspiré J.K Rowling pour ses livres qu’on ne présente plus. Puis le soleil est tombé en arc-en-ciel sur la ville, dessinant les magnifiques ombres des monuments et des arbres tordues.
Nous entrons au Storytelling Center, une salle de spectacle, un café mais aussi une librairie où l’on peut y lire des contes écossais et du monde entier. Je passe un temps à feuilleter les pages, avec des yeux brillants face à toutes les multiples histoires qui se déploient autour de moi. Lorsqu’on nous sert un chocolat chaud, je remarque la générosité des Ecossais. Ils sont toujours prêts à rendre service, très chaleureux. Pendant une heure, je m’embarque dans les contes chantés et dansés d’une tribu canadienne invitée lors du Scottish Storytelling Festival (Festival écossais du Conte). Ces contes s’inscrivent dans la tradition orale : les conteurs font vivre l’histoire à travers les mouvements du corps, que ce soient les répétitions de gestes ou des vocalises, des rondes gagnant l’attention du spectateur. La tribu est en harmonie avec la nature, les animaux ont une très grande place dans leur mythologie, si bien que les conteurs revêtent des masques à leur effigie et se transforment. Il y a également des invocations à des divinités protectrices ou des danses de rassemblement qui doivent intimider l’ennemi. Je trouve très intéressant cet engagement des mots avec le corps, cela change de l’image du conteur assis sur une chaise face au public. Lorsque je sors, la nuit a enveloppé Edimbourg et l’air froid nous invite à partir. Déjà nostalgique, je me promets de revenir dans ces lieux inspirants.
28.10.19, Glasgow (campus de l’Université, Kelvin Museum) :
Aujourd’hui, je rejoins une deuxième amie qui m’hébergera à Paisley, une petite ville à dix minutes de Glasgow, en plus de celle qui étudie pour quelques mois ici. Celle-ci nous fait visiter l’université, qui me fait remonter dans le temps. De superbes bâtiments qui me font directement penser à l’architecture des villes d’Oxford et de Cambridge en Angleterre. Quelle incroyable expérience cela doit être pour les étudiants d’être ici ! Je suis émerveillée par la beauté des cours et des vitraux, par l’élégance et l’histoire qui s’en dégage. J’en perds peut-être quelques mots.
Nous traversons un petit parc qui offre une superbe vue sur la tour de l’université et nous entrons dans un musée. Le hall est majestueux, surmonté d’un orgue et de lustres éblouissants. Des concerts sont organisés tous les jours, entre midi et deux, paraît-il. Nous avons un peu le temps de visiter des expositions en rapport avec l’histoire écossaise, puis nous prenons le train. La sensation est étrange. Je me souviens de mes trajets en solitaire en Angleterre, pour visiter les villes autour de Londres… Pourtant, comme je l’ai dit au début, tout est similaire mais différent.
29.10.19, Glasgow (la cathédrale, la nécropole victorienne, la Mitchell Library) :
Cette fois-ci, je repars seule à Glasgow afin de visiter encore quelques parties de la ville. Je traverse de grandes rues, passe devant une immense église ainsi que des œuvres peintes à même les maisons, grandeur nature. La ville semble se créer des sentinelles. Après vingt minutes de marche, la cathédrale apparaît dans toute sa splendeur. La pierre grise, presque noire, est caractéristique. Lorsque je découvre l’intérieur, tout est plus ouvert. La voûte est en bois, les vitraux laissent pleinement passer les rayons solaires. Tout se réverbère, tout s’équilibre et ma paix intérieure s’installe. Je marche très lentement, ma respiration se coupe un peu et mes yeux sont levés vers la beauté.
Je décide de pénétrer dans le cimetière, connu pour ses anciennes stèles victoriennes et son éclectisme, mais aussi pour sa vue panoramique. Les couleurs de l’automne apparaissent plus fortes une fois que je suis arrivée en haut. Je me retrouve suspendue entre le monde des morts et des vivants. Je prends le temps de m’imprégner des lieux, d’observer. Cela m’a par la suite inspiré un poème en prose que je reposte ci-dessous, qui résume bien mon voyage à la rencontre de ces vieilles âmes :
Une vivante parmi tous les passés, toutes les mémoires et un autre temps. Ils m'encerclaient soudainement, les morts, silencieux. Mes mains se sont glacées petit à petit lorsque je longeais les tombes, les statues et les inscriptions éternelles, comme s'ils me prenaient les doigts, comme s'ils me guidaient dans ce monde que je ne connais pas encore. Je les voyais à travers ce passage, contant leurs souvenirs inaudibles dans le vent et le soleil. Ils semblaient libres, quoique je n'arrivais pas à mettre en mots cette légèreté. Puis je suis devenue trop engourdie et je leur ai dit : "Au revoir, à demain, à bientôt*". Je suis partie avec cette pensée : "La mort est le messager de la paix".
Pour finir, je reviens quelques temps dans le centre-ville, sur la Buchanan Street, prenant un moment pour feuilleter quelques livres de poésie dans une grande librairie, avant d’aller dire au revoir à mon amie de Glasgow à la Mitchell Library. Imaginez, ce n’est pas seulement une bibliothèque universitaire. Au rez-de-chaussée se trouvent également une bibliothèque municipale ainsi qu’un café ! Quelques discussions, quelques embrassades, tout est déjà un souvenir. Le soir, de retour à Paisley, je discute jusqu’à tard dans la nuit.
30.10.19, Paisley :
Il me reste déjà quelques heures avant de reprendre l’avion. J’en profite pour visiter le joli petit centre-ville de Paisley. Le point le plus important de la visite est l’abbaye, où le puissant ordre monastique de Cluny y a vécu pendant de nombreuses années. Elle est composée de la même pierre grise que la cathédrale de Glasgow et le cloître est magnifiquement conservé. C’est une très belle abbaye, un lieu de paix qui me permet de méditer quelques pensées avant de laisser ce pays encore plein de secrets.
Lorsque je retourne à l’aéroport, je ne me sens même pas vraiment triste. Je me sens surtout enrichie de tous ces paysages et de toutes les histoires que j’ai eu la chance d’écouter. Je me sens comme dans un rêve qui va bientôt se poursuivre dans ma mémoire. Lorsque l’on décolle, j’ai encore la chance d’admirer les collines écossaises et la lumière dorée qui dépose un voile orangé sur ses reliefs.
Cinq jours en Ecosse.
Cinq jours de voyage et de marche.
Cinq jours où j’ai tenté de sonder l’âme des villes.
Je ferme les yeux, mon rêve roule encore sous mes paupières…
* Empruntés à Apollinaire dans "La maison des morts", Alcools, 1913.
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